C’est ainsi que Charlie Hebdo fait tomber les tabous de la France
Une interview exclusive de l’année dernière dans la rédaction de Charlie Hebdo avec Renald Luziere, dit Luz, survécu par hasard a l’attentat de hier à cause de son retard à la réunion avec l’équipe de rédaction.

Une interview exclusive de l’année dernière dans la rédaction de Charlie Hebdo avec Renald Luziere, dit Luz, survécu par hasard a l’attentat de hier à cause de son retard à la réunion avec l’équipe de rédaction.
Comment devient-on caricaturiste? Quelle est la formation que vous avez suivi pour devenir un dessinateur? Quelles sont les qualités requises pour devenir un bon caricaturiste?
Personnellement, moi je suis autodidacte. J’ai pas fait de formation particulière. Il y a quelques auteurs qui sont passé par certaines écoles de dessin mais, moi, de mon coté, j’ai failli rentrer dans une école de dessin mais quand je me suis aperçu que la plupart des écoles de dessin sont surtout des écoles qui sont a but publicitaire, j’ai préféré pas me laisser enfermer dans ce style là. J’ai fait des études de droit, ça n’a aucun rapport mais disons que ça m’a permis, en tout cas, de m’approcher de la chose publique de la réalité finalement de ce qui fait l’essence de mon travail, c’est à dire comment fonctionne l’Etat, comment fonctionne la vie en société.
Est ce qu’il y a des règles formelles pour faire une caricature?
Je pense qu’un bon caricaturiste c’est quelqu’un qui est, avant tout, curieux et qui essaye d’appréhender le monde, c’est un peu grandiloquent de dire ça, mais je pense que c’est tout bêtement la réalité. Ce qui m’a former pour être un bon caricaturiste, c’étais quand j’étais gamin, je dessinais la société de mes parents, voila la vie, les dinars chez mes parents ou chez les amis de mes parents, et en fait c’était déjà quelques part une forme de journalisme dessiné. J’essayais de comprendre, dans le dessin, a quoi ressemblait la société des adultes. En fait, je pense que pour être un bon caricaturiste il faut toujours conserver, en tout cas, pas forcément une âme d’enfant, mais d’avoir ce questionnement sur la société qui nous entoure, de regarder la société comme toujours une société d’adultes dans laquelle on est pas encore. Je pense que vraiment ça c’est vraiment le truc essentiel. Après, sur le dessin c’est plus difficile à dire. Je dirais que moi je suis un mauvais portraitiste et donc un bon caricaturiste.
Comment parvener vous à révéler la réalité grâce à, paradoxalement, la déformation de celle-ci?
C’est une question complexe, je pense que j’essaye d’aller au plus près de la réalité, je la déforme malgré moi, en fait. Je pense pour une bonne caricature c’est pas forcément une caricature ressemblante, mais surtout une caricature juste, dans la vision qu’on a de la personne qu’on voit ou du monde qui nous entoure. Il faut pas forcément être réaliste, mais c’est d’essayer de coïncider le plus possible avec l’image de la société qu’on a en face de soit. La réalité se travesti suffisamment elle même pour pouvoir avoir juste à la prendre, à la cueillir en place.
Est-ce que vous choisissez les thèmes par vous mêmes?
Oui. Les dessins sont souvent le reflet de mes propres obsessions dalleurs. En tout cas, Charlie Hebdo on a personne qui décide de la publication de nos dessins, sauf au moment où on cherche la couverture, à ce moment là on piste de la copie, on donne énormément de dessins et on dessine celle qui est la plus pertinente, mais sinon on choisi des sujets, on a une page entière, deux pages. On choisi même le mode pour parler du sujet, ça veut dire que ça peut être un reportage, donc vraiment un dessin de terrain, ou alors une bande dessinée, c’est possible aussi, ou encore un seul dessin, ou alors des strips. Il n’y a pas de règles préétablies.
Quels domaines préférez-vous caricaturer?
Au tout début de ma carrière, il y a vingt ans, j’étais assez obsédé par la montée de l’extrême droite en France, la place de l’extrême droite en France, pas que la montée, donc je faisais beaucoup de reportages de terrains, j’allais voir ce qui ce passait, je dessinais beaucoup là dessus. J’aimais bien m’inspirer à la fois du terrain, pour pouvoir faire aussi des dessins de fiction totale. C’est à dire avoir un petit encrage dans la réalité pour pouvoir raconter, faire des blagues. Quand on fait des gags dans un dessins de caricature il faut que le fond réel quand même soit assez fort. Si on est trop dans la fiction après on perd un peu le lecteur, c’est beaucoup plus fort si il y a une petite parcelle de vérité dans le dessin. Mais sinon, maintenant, pas que l’extreme droite ne reviens pas en force, mais vu que j’ai beaucoup travailler sur le sujet, je me suis fait pas mal griller aussi dans les reportages, c’est à dire qu’ils savaient qui j’étais, et maintenant je ne pourrais pas faire un reportage sur l’extreme droite de la même manière. Pourtant un truc qui m’intéresse c’est la musique, dessiner la musique en live, ça m’intéresse vraiment beaucoup. Mais par contre en caricatures de la musiques, j’aime bien, par exemple, caricaturer la place de la chanson française en France, qui est une grande prétention française. J’aime bien me lâcher là dessus, parce que je pense que c’est aussi un truc intéressant de toucher des domaines dans lesquels il n’y a pas forcément de culture de la caricature. Quand je tape sur un type qui fait de la chanson française, personne n’a particulièrement l’habitude de voir ce type un peu bousculé, ridiculisé ou charrié. J’aime bien faire ça en ce moment.
Quels sont les sujets fâcheux, les “tabous” qui sont plus difficiles à aborder?
Je pense qu’il y en a un que vous imaginez très bien depuis nos récents événements. Charlie Hebdo a une vieille histoire, et même la satire en France a une très vieille histoire, où on a fait beaucoup tomber divers tabous, en tout cas dans les années ’70 c’étaient le tabou de la mort et le tabou du sexe. Et ça c’est Charlie Hebdo. Cette structure là, avant même que je travaille dedans, a fait énormément pour faire tomber ces tabous là. Il y a un tabou qu’on pensait être tomber depuis longtemps, en tout cas en France, parce que c’est une tradition française de bousculer ce tabou, c’est le tabou du sacré, donc de la religion. On s’est rendu compte là, ces dernières années, que c’était un tabou encore très vivant. C’est assez surprenant parce que nous, en plus, on est dans un pays où il y a une loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, la loi de 1905, dont on se préoccupe quasiment plus au niveau du dessin, au niveau de la caricature. On a l’habitude de “bouffer du curé” comme on dit en langage populaire, on a l’habitude de “bouffer du curé” depuis des années et puis moi aussi ça fait partie de ma culture. On a un journal athée, on a un journal précisément qui se méfie de l’obscurantisme religieux et là avec la religion musulmane qui arrive un peu en force, en religion un peu plus jeune, du coup on s’est attaqués à cette religion, mais comme on s’attaque à toutes les religions, comme on avait l’habitude de s’attaquer à toutes les religions, ça a créer une crispation beaucoup plus forte.
Est- ce que chaque dessinateur a une spécialité?
C’est difficile à dire pour moi, mais je pense qu’on a chacun des “spécialités”, enfin il y a d’uns qui sont un peu plus journalistes, d’autres qui sont un peu plus dessinateurs, en tout cas graphistes, qui s’intéressent plus au graphisme donc qui s’intéressent plus à l’histoire. Mais je pense qu’on a même des différences un peu d’humour. Moi je sais par exemple une grande différence que j’apprécie beaucoup dans le travail de Charb, Charb il aime bien dessiner et se mettre à la place du con ou du salaud, et le ridiculiser en lui faisant dire ce qu’il a de plus con, de plus profondément con en lui. Et ça c’est intéressant parce que moi ce n’est pas du tout comme ça que je travaille, mais lui il travaille vraiment dans cette optique là, c’est à dire se draper dans la peau du salaud pour pouvoir dénoncer le salaud. Ca c’est intéressant, il y a que lui qui fait ça, je trouve, en France et c’est assez fort. J’ai un peu du mal à analyser mon propre travail mais je pense que je ne suis pas tout à fait dans le même registre.
Combien de dessinateurs et journalistes sont présents au quotidien dans votre journal?
On est à peu près 13-14 dessinateurs. Dans l’ensemble on doit être une vingtaine, incluant les gens qui travaillent aussi la comptabilité, le secrétariat, etc…
Les mots comptent-ils autant que les dessins?
Oui, non seulement ça compte au niveau du sens, mais ça compte aussi graphiquement.J’ai remarqué qu’on voit de temps en temps des dessinateurs passer et un dessinateur qui n’a pas une très belle écriture, qui écrit mal, du coup ça ne marche pas, son dessin ne marche pas. Il faut que l’écriture soit assez personnelle, personnalisée, forte, lisible pour que l’ensemble du dessin soit lisible. Et en même temps, comme tout dessinateur, je crois que le meilleur dessin ça reste le dessin où il n’y a aucune parole. Mais, sur le dessin d’actualité ç’est assez difficile, parce que le texte permet aussi de contextualiser le dessin, de dire à quel fait d’actualité ça appartient.
L’humour n’est-il pas primordial dans vos dessins?
Moi je pense que oui, je pense qu’il est primordial. Il est primordial, ce n’est pas une obligation, mais en même temps faire passer l’humour c’est aussi permettre de créer un décalage et de relativiser ce qu’on dit. Un dessin contre quelqu’un, une personnalité publique ou autre, sans humour, c’est un dessin qui est militant, ce qui n’est pas forcément un problème, mais c’est un dessin qui sera reçu uniquement avec de la colère, tandis qu’un dessin avec de l’humour, même le personne qui le subis peut y voir autre chose. Je pense que c’est assez capital parce qu’on est pas forcément des portes-parole, on a pas vocation a monter sur un tabouret et déclamer une vérité. On est pas là pour déclamer une vérité. Donc, l’humour ça permet aussi de contrebalancer ça et de relativiser pour le lecteur l’idée qu’y est dedans
Comment arrivez vous à ne pas tomber dans le vulgaire ou dans le violent?
Avec les années! Je pense que tout dessinateur de presse commence par dessiner des trucs assez grivois, graveleux parce que c’est une solution de facilité. Mais je pense que quelque part pour éviter de faire du vulgaire, il faut s’y être confronter à un moment donné, il faut l’avoir fait. C’est aussi pour ça que quand j’ai commencé à dessiner, il y avait beaucoup de dessin à moi qui ne passaient pas et après, au fur et à mesure, j’ai compris ce qui passait. Et aussi, le graveleux et du vulgaire passent souvent par la sexualité, par quelqu’un qui encule l’autre. C’est toujours pareil. Ces dessins là sont toute suite des dessins qui ne servent à rien, parce que tout d’un coup, le dessinateur qui a fait ça donne l’impression de faire quelque chose de très provocant alors que finalement c’est très annodant. Pourquoi j’ai abandonner la vulgarité? C’est parce que la vulgarité c’est pas novateur, elle est partout la vulgarité dans le monde et c’est justement contre la vulgarité qu’on dessine, donc on ne peut pas dessiner la vulgarité avec un dessin vulgaire, ça ne marche pas.
Discutez-vous entre collègues avant la publication d’une image?
On travaille beaucoup chez soit et on parle assez peu au bout du compte. Par contre, là justement le lundi c’est le jour du bouclage, le moment de décider pour la Une et c’est une image qui va traduire finalement ce qu’il va y avoir dans le journal, même si ce n’est pas forcement un résumé de ce qu’il y a dans le journal. Il faut que ce soit une image qui ne trahisse aucune des idées des dessinateurs. A ce moment là on en discute beaucoup, mais on discute beaucoup plus de la pertinence du sujet, de la pertinence du dessin, plutôt que de la valeur graphique. Ca arrive, parfois, mais c’est plutôt à la marge. Je pense qu’on a suffisamment confiance dans les uns et les autres et on se respecte suffisamment pour avoir confiance dans le trait de chacun.
Qualifieriez-vous la caricature comme étant un art?
Oui, je pense qu’il y a un truc un peu dommage, c’est que souvent les caricaturistes, les dessinateurs caricaturistes, sont souvent à la remorque des journalistes. En fait, c’est souvent comme ça, il y a dessinateurs qui se déclarent plus journalistes que dessinateurs. Et moi, de mon coté, je considère que je suis plus dessinateur que journaliste, même si j’ai fait des études de droit. En fait, c’était pour faire des études de journalisme et pour ensuite après dessiner. C’était plus une espèce de petite “stratégie de carrière”, je ne sais pas comment appeler ça. Mais, je pense qu’à partir du moment où on dessine, qu’on crée quelque chose à partir d’une réflexion, on est dans un art et en plus on est dans un art populaire. Je crois que ça aussi c’est très important. On est issus de l’art des guignols, enfin les guignols avec les bâtons, etc.., je pense qu’on est issu de ce truc de l’art populaire. Je pense qu’un dessinateur qui considère qu’il est plus journaliste que artiste, il se trompe et moi je ne fais pas le même métier que lui. Il se trompe pas forcement mais je ne fais pas le même métier que lui. Mais nous on a de la chance, on a que des dessinateurs ici. Ce qui m’empêche pas d’avoir une carte de presse. Mais ça c’est peut être presque une escroquerie.
Plantu a dit “En fait, je suis dessinateur qui se prend pour journaliste dans un monde médiatique où beaucoup de journalistes se prennent pour des caricaturistes”. Qu’en pensez vous?
Non je pense que c’est faux. Non, je suis pas d’accord du tout avec ça. Moi je pense pas que les journalistes se prennent pour des caricaturistes. Les journalistes se prennent justement vraiment pour des journalistes. Je pense que si on a un rôle a donner, que les journalistes ne peuvent pas donner. Comme disait Gébé, qui était un dessinateur de Charlie qui est mort depuis quelques années, “la révolution c’est faire un pas de côté” et pour moi c’est la même chose le travail du dessinateur c’est de faire un pas de côté, de se décaler par rapport à la réalité de montrer et de voir la réalité sous un autre angle. Donc c’est pas du tout le même travail qu’un journaliste, qui est confronté à la réalité et qui veut traduire exactement ce qu’elle est. Nous on la traduit mais dans un angle différent.
Quel est le but d’une caricature?
Celui que je viens de dire, de voir la réalité autrement.
Votre journal est-il orienté politiquement ou bien revendique-t-il son indépendance?
Les deux. On revendique être un journal de gauche, et on même temps on n’est pas un journal orienté politiquement. Il n’y a personne ici qui appartient a un parti politique. On est plus indépendants par notre absence de publicités que part autre chose. La véritable indépendance elle est là. On a une indépendance financière, après les opinions politique, on s’en fou. Nous on est un journal de gauche, il y en a qui sont socialistes, anarchistes, communistes, on est ce qu’on appelle un journal d’extrême gauche plurielle.
Le journal est-il donc financé uniquement par les ventes?
Oui, il est juste financé par lui même. Pas de publicité, rien d’autre. Ce qui est donc vraiment la garantie de son indépendance.
Est ce que vos dessins on eu des conséquences au niveau juridique?
Oui, j’ai eu beaucoup de procès avec l’extrême droite pendant longtemps, l’extrême droite et l’extrême droite catholique. Là ça c’est un peu calmé, on avait eu un procès un peu retentissant quand on avait publié les caricatures danoises dans Charlie Hebdo, mais ça remonte plutôt à il y a 6 ans, mais on a un très bon avocat. On a finalement la jurisprudence pour nous. C’est à dire qu’il y a un droit à la caricature qui existe en France. Lorsqu’on a publié les caricatures danoises il y a eu un procès retentissant mais qui a permis aussi de développer cette jurisprudence là; c’est à dire que, par le droit à la caricature, toutes les religions pouvait être charriées et caricaturées dans Charlie Hebdo.
Est ce que votre journal a été à l’origine d’un procès contre diffamation où injure?
Oui oui, bien sur, plein. Mais en fait quand on se fait attaquer pour diffamation notre avocat arrive toujours à convaincre le tribunal que c’est de l’injure et quand on est attaqués pour injure il arrive toujours à convaincre que c’est de la diffamation. Il est très très fort, on a le meilleur des avocats en Frances.
Quelles sont les contraintes auxquelles le dessinateur doit faire face?
La pire des contraintes est très classique, c’est l’angoisse de la page blanche, c’est tout. Et pour le reste, il ne doit y avoir aucune contrainte. C’est le plus difficile, mais après la contrainte c’est la société qui l’impose. Par exemple, lorsque nos locaux on été brulés après la publication des caricatures danoises, tout le monde nous a dit qu’on était des dangereux, terroristes nous même ou alors on était des chevaliers blanc, des étendards de la liberté d’expression. Je pense qu’on est ni l’un, ni l’autre. Je pense que la plus forte des contraintes à s’imposer, c’est d’être vraiment libre et absolument irresponsables. La société dans laquelle on est en ce moment, étant une société très très au premier degré, dans lequel notre travail, qui est sur le second degré, a de plus en plus de mal à s’imposer. Donc il faut accepter l’idée qu’on est des irresponsables, des idiots, des ados attardés, ce que vous voulez, mais nous on fait notre travail pour appréhendez la société en essayant de la brusquer un petit peu. Et on ne peut pas la brusquer en étant sérieux.
Une interview exclusive de l’année dernière dans la rédaction de Charlie Hebdo avec Renald Luziere, dit Luz, survécu par hasard a l’attentat de hier à cause de son retard à la réunion avec l’équipe de rédaction.
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