Interview B
Costanza Y, head of European and regulatory affairs
Quelles ont été les principales étapes de votre carrière professionnelle et les obstacles rencontrés en tant que femme?
J’ai fait des écoles publiques, le lycée « classico » italien (équivalent de la filière Littéraire), puis je me suis inscrite à l’Université de Droit. Pendant mes études, j’ai toujours fait, notamment en été, des séjours d’études en Angleterre, en France et j’ai appris l’anglais et le français, moins bien. L’été entre le lycée et l’université, j’ai passé deux mois à Stanford University, en Amérique, où j’ai fait un cours de journalisme et anglais écrit. Après cela, puisque je voulais absolument faire des expériences à l’étranger (je ne voulais pas rester dans ma ville de naissance), j’ai commencé à envoyer mon curriculum partout, même en Australie je pense. J’ai pu rejoindre le programme de formation de la Commission européenne, donc j’ai déménagé à Bruxelles. J’ai fait un stage à la Direction Générale de la Concurrence, qui était l’une des Directions Générales les plus recherchées pour ceux qui avaient fait un parcours d’études de droit. La Commission est 100% gender equality, on nous assignait les mêmes emplois, nous participions tous à la vie du groupe, nous avions un tutor, tout était très organisé, ils nous donnaient vraiment l’opportunité d’entrer dans la substance des choses. Je me souviens que j’avais préparé la décision sur les sanctions pour le cartel sur le prix des balles de tennis, j’ai rédigé le brouillon des sanctions et je suis allée devant le Commissaire pour la discuter. Bref, l’environnement était extrêmement stimulant, ouvert et inclusif. En attendant, j’ai été acceptée pour un Master au King’s College de Londres mais à la fin du stage, j’ai été aussi contactée par un cabinet d’avocats international à Bruxelles, qui m’a offert un poste pour le mois de septembre. J’ai eu un moment d’hésitation, j’aurais voulu faire le Master, mais je me suis dite que l’objectif de ces Masters était d’intégrer, une fois l’année terminée, un cabinet d’avocats comme celui-ci, mais s’ils me prenaient sans besoin du Master, il fallait que j’y aille. Et donc je suis restée une année de plus à Bruxelles.
J’ai donc déménagé à Milan un an après, toujours praticien du même cabinet, où je travaillais avec un très bon partenaire, avec qui j’ai collaboré pendant près de 8 ans, traitant toujours de droit communautaire et réglementaire. Là aussi, le traitement réservé aux praticiens était assez similaire, il n’y avait pas de discrimination particulière, peut-être plus de la part des clients. Situations un peu embarrassantes par moments, quand parfois les clients avaient une attitude un peu différente vis-à-vis des jeunes professionnelles femmes. Par exemple, lorsque j’étais déjà avocat, j’ai été envoyée faire la « due diligence » dans une grande industrie qui produisait des tableaux de bord pour les voitures. Nous étions un homme et moi, ils appelaient mon collègue avocat et moi « Dottoressa ». Mais, à mon avis, la discrimination est plus ressentie en montant un peu plus dans la hiérarchie. Donc, excellent rapport avec mon partenaire de référence, au point que quand il a décidé d’aller travailler chez un autre cabinet d’avocats très important, il m’a emmenée avec lui. C’est ainsi qu’en 2001 j’ai commencé à travailler à Rome, où j’ai continué à faire du droit communautaire et du droit antitrust, jusqu’en 2006. Période de ma première rencontre avec mon chef actuel, qui a décidé de m’embaucher en Unicredit. En repensant à mon expérience dans le cabinet d’avocats, je ne peux absolument pas dire que les femmes n’étaient pas ambitieuses ou que le manque d’ambition est le facteur qui leur a empêché d’avancer dans la carrière. Celles que j’ai connu sont des femmes au contraire très ambitieuses, motivées, dévouées au travail ; nous travaillions tous comme des fous. Je peux définitivement nier qu’elles étaient peu ambitieuses. Après, c’est sûr, cela dépend des secteurs, les cabinets d’avocats sont quand même considérés un environnement de travail élitiste, dans la mesure où on travaille avec des personnes importantes et on a à faire à des clients tout aussi importants. Ce que j’ai remarqué, sur la base de mon expérience, c’est que quand vient le moment d’avoir des enfants, la femme qui a une ambition de carrière doit faire des sacrifices, pas tellement en ce qui concerne la relation avec ses enfants (je suis convaincue que l’un n’exclut pas l’autre), mais du point de vue économique. Pour une femme qui travaille dans une ville autre que sa ville d’origine, qui ne peut pas compter sur le soutien de la famille (grands-parents par exemple), décider de continuer à travailler à 100% et avoir des enfants implique, pour une certaine période de temps, transférer le salaire pour payer la baby-sitter.
Moi, je l’ai toujours considéré comme un investissement dans mon avenir professionnel, mais ce n’est pas « gagné ». Mais il y a d’autres obstacles aussi : il n’y a pas de soutien pour la croissance des enfants, dans le centre de Rome il n’y a pas de crèche ni publique ni privée. Donc la seule possibilité qu’on a de pouvoir continuer à travailler à temps plein est de prendre une baby-sitter, mais ça coûte, on ne peut pas tous se le permettre. Entre autres choses, travailler dans au cabinet d’avocats n’aide pas non plus, on est libre professionnel avec TVA et on ne bénéficie pas de protections ou aides (si ce n’est les congés de maternité de 5 mois, classiques), comme par exemple c’est le cas en entreprise. Si on veut prendre des mois supplémentaires on peut le faire, en sachant que le supérieur ne va pas prendre ça bien, d’autant plus que pour la plupart des femmes, les 5 mois suffisent. Il y a une forme de concurrence qui s’établit entre collaboratrices. Puis, en regardant les femmes avec qui je travaille encore aujourd’hui, beaucoup d’entre elles ont choisi de ne pas avoir d’enfants. Bref, ce n’est certainement pas un environnement qui favorise les jeunes femmes enceintes ou ayant des petits enfants. Je me souviens encore quand j’étais enceinte au septième mois, mon patron de l’époque, avec qui en plus j’avais passé le week-end, m’a demandé un dimanche à 15 heures d’aller à une réunion à Rome pour le remplacer (nous étions chez moi à la campagne). Après, cela dépend aussi de la sensibilité personnelle de chacun.
En entreprise, en revanche, c’est très différent, mes jeunes collègues ont un congé maternité et sont extrêmement encadrées, soutenues : elles peuvent prendre une maternité supplémentaire, tout en maintenant leur poste, l’entreprise leur accorde une majeure flexibilité, notamment au cours de la période d’allaitement, des congés payés. Toute une autre chose. Encore une fois, à mon avis, ce n’est pas une question de manque d’ambition si les femmes ont moins accès aux postes les plus élevés, il y a sûrement des disparités, la banque est un environnement assez misogyne, il y a souvent le « petit commentaire » sur la femme.
Je voudrais aussi démystifier le fait que les femmes seraient plus réticentes à parler: moi franchement je ne dirais pas cela, si je m’en réfère à mon expérience. Peut-être qu’elles sont plus réticentes à parler de choses qu’elles ne connaissent pas, mais par exemple j’ai toujours été très stimulée par mes dirigeants, qui m’ont souvent donné beaucoup d’opportunités. Un autre problème, cependant, dans les grandes entreprises est le gender gap en matière de rémunération. À égalité de poste et je dirais même quand les femmes sont plus qualifiées, celles-ci sont beaucoup moins rémunérées que les hommes, selon moi. Et ça c’est quelque chose qui doit faire réfléchir. On en parle beaucoup mais je n’ai pas l’impression qu’on soit en train d’agir. C’est vrai que cela vient des capacités personnelles à négocier des augmentations, des promotions, peut-être en cela les femmes sont moins fortes. Personnellement, je pense avoir toujours demandé quand je pensais que ça m’était dû, parfois j’ai reçu des oui, parfois des non.
Une autre chose qui arrive aux femmes qui ne sont pas laides c’est qu’il peut arriver qu’elles soient approchées pour d’autres raisons que le travail. C’est un aspect très délicat car il est clair que quand un comportement de ce genre vient de quelqu’un qui est hiérarchiquement supérieur, des situations difficiles à gérer se créent, qui peuvent également influencer l’avancement de carrière.
La femme ambitieuse ne s’autolimite pas. La mère de famille doit simplement faire plus de sacrifices, mais elle n’est pas limitée. Les enfants ne sont pas une autolimitation. Peut-être que l’homme, encore une fois sans généraliser, est plus politique, plus attentif à la gestion des alliances, à la politique au sein d’une organisation ; la femme a tendance à se concentrer davantage sur son travail, à devenir forte techniquement et à être moins politique, et peut-être qu’elle se trompe, dans le sens où, au sein d’une entreprise, il faut également créer son propre réseau. C’est aussi dû au fait que les moments d’agrégation avec un leader, qui est souvent un homme, sont différents : l’homme parle de femmes, de football, de voitures. Ce sont tous des liens créés en dehors du cadre de travail mais qui créent une plus grande cohésion. La femme ne parle pas de football ou de voitures, en général.
Pourquoi pensez-vous que les dirigeants d’aujourd’hui sont plus d’hommes que de femmes?
Pour les raisons que je t’ai dites. La difficulté de gérer une maternité et un travail extrêmement lourd comme un poste de haut niveau l’implique. Le fait que les femmes soient moins concernées par la politique, les contacts dans l’organisation, ce qui est au contraire indispensable pour atteindre une position de premier rang. Les postes à haute responsabilité sont occupés par la personne qui est non seulement capable d’un point de vue technique, mais aussi qui a aussi de bonnes connexions. En aucun cas je parlerais d’ambition, ça c’est sûr.
Costanza Y, head of European and regulatory affairs
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