L’interview de Luca X a été difficile à mettre en relation avec les deux autres. Et pour cause, travailler dans un milieu institutionnel est assez différent. Nous nous sommes donc appliquées à reprendre les éléments les plus pertinents à mettre en parallèle avec les autres interviews ainsi que les remarques qui nous ont semblé sortir des analyses déjà effectuées.
L’interview de Luca est particulièrement marquée par l’idée qu’il y a une réelle amélioration de la condition des femmes au sein du Ministère et par l’optimisme dont fait preuve le directeur des ressources humaines. Il prend ainsi l’exemple de l’amélioration de la proportion homme/femme au sein des diplomates du Ministère: «Dans mon concours, qui a été fait en 1989, les femmes qui l’ont gagné étaient 4 et les hommes 24. C’est plus ou moins cette proportion qui s’est maintenue jusqu’au début des années 2000. Dans les concours aujourd’hui, par contre, le pourcentage de femmes a augmenté, atteignant 30%: une proportion de 2/3 d’hommes et 1/3 de femmes». Si l’ambassade n’a pas encore atteint la parité, il est à noter que la progression est bien réelle. Le fait de se retrouver dans le milieu institutionnel n’est pas étranger à tout cela. En effet, le gouvernement italien a mis en place des politiques en faveur de l’égalité des sexes et essaye de les appliquer en premier lieu dans ses institutions.
Encore une fois, si nous parlons de femmes et d’accès aux positions hautes dans les entreprises, c’est le sujet de la famille qui arrive en premier. Luca nous explique que l’une des spécificités de la vie de diplomate est: «Il ne facilite pas la composition ou le maintien d’une famille». Nous retrouvons déjà la théorie des rôles sociaux qui voudrait que les femmes soient plus touchées à ce sujet qu’est la « création d’une famille » que les hommes. Pourtant, Luca prend sa propre situation comme exemple: «À un moment donné de ma vie professionnelle, ces dernières années, j’ai préféré rester à Rome pour assurer une certaine stabilité à la vie familiale». Cela nous fait comprendre que la problématique touche aussi les hommes.
Selon Luca, la maternité constitue encore un problème dans la carrière des femmes car il existe une différence entre la théorie et la pratique en ce qui concerne les congés: «Sur la forme, les femmes en congé de maternité sont bien sûr protégées, quel que soit l’environnement de travail. Mais cela est seulement d’un point de vue théorique; d’un point de vue pratique, la femme en congé de maternité peut certainement avoir des problèmes». Cela fait écho à ce que Costanza expliquait: cela dépend du milieu mais une femme qui part en congé maternité peut avoir plus ou moins d’avantages, mais elle peut aussi avoir d’autres problèmes. Une femme peut garder son poste, mais sa carrière peut s’en retrouver gelée, d’un point de vue légal, il n’y a aucun problème mais sa vie professionnelle n’en est pas moins attaquée.
Luca nous a alors parlé d’un problème dont nous n’avions pas réellement entendu parler jusqu’alors, et qui n’ont pas été abordés par les deux « top manager » : le problème moral. Luca explique: «Si l’on est en service dans une ambassade à l’étranger où il y a un ou deux diplomates, et l’un d’entre eux est une femme qui va en congé de maternité, donc en abstention obligatoire, cela peut également créer des problèmes moraux. Par exemple, la femme peut penser: «je dois abandonner mes collègues», même si bien sûr, ce n’est pas qu’elle perd son emploi ou doit rentrer à Rome, elle maintient sa place à l’étranger ainsi que sa rémunération». C’est ici la culpabilité posée aux femmes qui partent en congé maternité qui est mise en valeur. Cette situation est facilement transposable à des métiers moins nomades que les diplomates: une femme dans une entreprise, en charge d’un projet important, ressent potentiellement de la culpabilité si elle part en congé maternité pendant ce projet. Cette culpabilité peut avoir un impact important sur la vie personnelle d’une femme qui considèrera qu’elle ne peut pas avoir d’enfants à certains moments. De plus, cette culpabilité peut être utilisée par des supérieurs malveillants qui pourraient attribuer la responsabilité d’un projet important contre la «promesse» de ne pas tomber enceinte pendant la durée du projet.
Les femmes sont donc amenées à se culpabiliser si elles choisissent d’avoir une carrière si elles ont des enfants et traitées de «mauvaises mères» qui ne passent pas assez de temps avec leurs enfants, mais aussi si elles choisissent d’avoir des enfants pendants leur carrière, car cela pourrait être considéré comme un «abandon» de l’entreprise et des collègues, du moins pendant le congé payé. Il n’est pas normal que les femmes ne puissent pas faire ce que les hommes font depuis toujours sans être amenées à culpabiliser, et nous pensons qu’il est du ressort de la société de sortir les femmes de ce cercle de culpabilité dans lequel la plupart d’entre elles se trouvent. C’est aussi l’avis de Luca, qui nous explique ensuite: «À cet égard, nous avons eu l’idée d’envoyer en mission des collègues de Rome pour prendre temporairement la place des femmes en congé de maternité. Cela pour que la structure ne soit pas affectée par le départ et pour que la femme ne se sente pas « coupable » d’être partie. Ce sont des mesures très incitatives, au-delà de ce que dit la loi». Si, en France, une femme qui part en congé maternité est généralement remplacée par une autre personne sur la période en question, la loi ne l’oblige pas en Italie. Ce que nous notons ici n’est pas l’idée en elle-même mais le fait que les services de RH aient réfléchi à la question du point de vue de la femme, et que Luca nous le présente sous cette forme. Nous pensons qu’il est en effet intéressant que les entreprises aillent au-devant de ces problèmes et mettent en place des solutions de ce type par une approche qui prend en compte les problèmes des femmes en congé maternité.
Cet entretien nous a permis de percevoir une autre facette de notre problématique: du côté des ressources humaines, comment sont perçues les femmes dans les postes à haut niveau. Luca nous a fait comprendre que ce n’est pas vraiment aux femmes d’essayer de rentrer dans des plans de carrières menant à des positions hautes initialement destinées à des hommes, mais aux ressources humaines de repenser les plans de carrière en fonction des avancées de la société, et notamment le fait que les femmes travaillent, elles aussi.
Si la question de la maternité revient aussi souvent c’est parce que, que ce soit pour le congé ou pour les enfants, la plupart des organisations pensent que cela prenne trop de temps à la femme, qui par conséquent en aura moins à mettre dans l’entreprise. Nous n’avions pas conscience, avant de remarquer que la question des rôles sociaux revenait systématiquement dans les entretiens, que c’était cet aspect qui posait le plus problème aux femmes dans leur ascension au sein des entreprises.
@manu_scogna10
L’interview de Luca X a été difficile à mettre en relation avec les deux autres. Et pour cause, travailler dans un milieu institutionnel est assez différent. Nous nous sommes donc appliquées à reprendre les éléments les plus pertinents à mettre en parallèle avec les autres interviews ainsi que les remarques qui nous ont semblé sortir des analyses déjà effectuées.
L’interview de Luca est particulièrement marquée par l’idée qu’il y a une réelle amélioration de la condition des femmes au sein du Ministère et par l’optimisme dont fait preuve le directeur des ressources humaines. Il prend ainsi l’exemple de l’amélioration de la proportion homme/femme au sein des diplomates du Ministère: «Dans mon concours, qui a été fait en 1989, les femmes qui l’ont gagné étaient 4 et les hommes 24. C’est plus ou moins cette proportion qui s’est maintenue jusqu’au début des années 2000. Dans les concours aujourd’hui, par contre, le pourcentage de femmes a augmenté, atteignant 30%: une proportion de 2/3 d’hommes et 1/3 de femmes». Si l’ambassade n’a pas encore atteint la parité, il est à noter que la progression est bien réelle. Le fait de se retrouver dans le milieu institutionnel n’est pas étranger à tout cela. En effet, le gouvernement italien a mis en place des politiques en faveur de l’égalité des sexes et essaye de les appliquer en premier lieu dans ses institutions.